Les bases biologiques de l'altruisme

Christine LE FOURN-TANGUY Par Le 05/03/2016

Dans Neurosciences

Le documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade intitulé « Vers un monde altruiste » qui a été diffusé sur Arte le 26 février 2016 présente une synthèse de découvertes récentes en neurosciences issues de l’Institut Max-Planck de Leipzig ou du «  Baby Lab  » de Yale, aux Etats-Unis.

L'altruisme a une base biologique

Nous y découvrons, avec surprise, que l’altruisme (défini comme la capacité à aider l’autre sans contrepartie pour soi-même) existe déjà chez les tout-petits de 6 mois. On voit des enfants (de 6 à 18 mois) aider spontanément un adulte à ramasser un objet ou à ouvrir un placard, quittant même leur jeu pour venir en aide à l’adulte et cela à plusieurs reprises. Ce comportement est complètement spontané et presque tous les enfants le manifestent. En poursuivant l’expérience avec deux groupes distincts, on a comparé un groupe qui reçoit une gratification après son geste généreux à un autre qui n’en reçoit pas. Ceux qui reçoivent une gratification finissent par aider moins que les autres !

Des expériences menées, cette fois, sur des souris et des chimpanzés ont démontré que la coopération est largement répandue dans le vivant.

Une autre expérience montre des enfants devant une scène dans laquelle une peluche en aide une autre tandis qu’une autre peluche, au contraire, fait preuve d’agressivité vis à vis de celle qui a besoin d’aide. Les enfants auxquels on demande de choisir une des deux peluches après avoir assisté à la scène choisissent la « gentille » peluche.

Ces travaux montrent que la coopération, l’entraide, l’altruisme et par là même la capacité morale à distinguer le bien du mal sont innés et ont une base biologique.

La vision darwinienne selon laquelle la sélection naturelle serait le moteur principal de l’évolution est battue en brèche par cette découverte. Le biologiste et mathématicien Martin Nowak émet même l’idée que la coopération serait plus importante dans l’histoire de l’évolution que la compétition. Les groupes coopérateurs survivent parce qu’ils s’entraident et l’emportent logiquement sur les non-coopérateurs.

Nous découvrons aussi dans ce documentaire que souffrir et voir souffrir, c’est presque la même chose pour le cerveau. L’expérience est faite sur un couple. La zone activée dans le cerveau de celui qui souffre se superpose quasiment à celle qui est activée quand il voit son conjoint souffrir.

Alors comment se fait-il qu'il y ait tant de rivalités et de guerres dans le monde ?

Ce que ces études récentes mettent aussi en évidence est que nous faisons, dès notre plus jeune âge, une distinction entre ceux qui sont « comme nous » et les « autres ». Pour un petit, celui est « comme lui » sera, par exemple, celui qui aime les mêmes friandises que lui.

Devant une nouvelle scénette avec des peluches. La peluche qui a été méchante avec celle "qui n’est pas comme lui" est préférée, cette fois-ci, à celle qui s’est montrée coopérative. Toute aussi innée que notre bonté est donc notre préférence pour ceux qui nous ressemblent. C’est là que les choses se gâtent.

Nous portons en nous les ferments du meilleur et du pire. Et, cela va loin. Dans une expérience faite avec des supporters de foot. On constate que voir souffrir un supporter de son équipe fait souffrir soi-même (comme dans l’expérience avec le couple) mais, voir souffrir un supporter de l’équipe adverse active dans le cerveau la zone de la récompense et donc du plaisir !

Quelles solutions ?

La suite du documentaire tente de répondre à la question : comment étendre la notion de « nous » ? La réponse mise en avant est celle de la méditation bouddhiste. Les expériences faites sur la méditation ont, en effet, démontré la plasticité de notre cerveau. Des programmes mis en place dans des écoles défavorisées de Baltimore attestent que la méditation réduit le stress, favorise le contrôle des émotions négatives et augmente la coopération.

A ce stade le documentaire souffre de quelques faiblesses. La solution présentée n’est comparée à aucune autre. Et, nous aurions aimé avoir davantage de détails sur la méditation en question ainsi que des clarifications sur la sémantique.

Serge Tisseron* dans un article publié par le Huffingtonpost (29/02/16) fait remarquer que nous croyons à tort que notre définition latino/anglo-saxonne des mots « empathie » et « compassion » est la même que celle du bouddhisme. Sans reprendre son argumentation, voyons seulement comment il présente l'empathie selon les chercheurs occidentaux qui distinguent trois niveaux : « ...l’empathie affective au fonctionnement rapide et automatique qui apparaît dès la première année de la vie et qui permet de se concentrer sur l'émotion d'autrui au point de l'éprouver soi-même sans se confondre avec lui. Il s'agit donc d'une forme de résonance émotionnelle. Au contraire, l'empathie cognitive est un système lent, délibératif et conscient dans lequel il ne s'agit plus de ressentir les émotions d'autrui, comme dans le stade précédent, mais de comprendre son point de vue en prenant en compte ses différences. Cette posture nécessite d'intégrer un grand nombre d'informations, comme le caractère de l'autre, ses conditions de vie, ses particularités culturelles, etc. Cette prise de perspective cognitive est parfois nommée "compréhension empathique". Mais ces deux composantes ne suffisent pas à créer l'empathie complète. Comme l'a bien montré Martin Hoffman (2008), l'empathie affective risque toujours de faire éprouver les douleurs d'autrui comme si c'était les siennes propres, au point de rendre incapable de lui porter secours. Et inversement, l'empathie cognitive risque toujours d'être utilisée pour manipuler notre interlocuteur grâce à la compréhension que nous en avons. Ce qui est essentiel, c'est la capacité de les articuler l'une à l'autre, de passer sans cesse de l'une à l'autre et de tempérer les dangers de l'une par les vertus de l'autre. Cette "empathie mature", comme l'appelle Martin Hoffman, rend possible le fait de se mettre émotionnellement à la place de l'autre, préfigurant la capacité altruiste. C'est aussi ce que montrent les travaux de Jean Decety, neuroscientifique spécialisé dans la compréhension des bases cérébrales de l'empathie. »

Nous portons donc en nous le potentiel du meilleur et celui du pire : une capacité innée d’altruisme de même que la préférence pour ceux qui sont "comme nous". Et, aux "autres" nous pouvons réserver le pire traitement.

Pour sortir de notre tendance à faire des clivages destructeurs, il est probable qu’il y ait des solutions aussi bien dans les pratiques de méditation et d’entrainement mental que dans l’empathie cognitive, c’est-à-dire l’effort intellectuel de comprendre le point de vue de l’autre. Espérons que la recherche de solutions et la comparaison des méthodes se poursuivra tant le sujet est important. Les connaissances que nous fournissent les découvertes récentes en neurosciences sont déjà, en soi, d’une grande aide pour notre compréhension de nous-même et notre évolution personnelle.

(*) Psychiatre et Psychanalyste, Docteur en psychologie HDR à l’Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS)