Neurones et pensée libre

Christine LE FOURN-TANGUY Par Le 11/11/2015

Dans Neuropsychologie

Il est très difficile de penser librement parce que penser par soi-même nécessite de lutter contre ses propres automatismes.

Nos croyances plongent leurs racines dans notre passé lointain, notre éducation, notre environnement social, le discours dominant dans les médias, les idées qui ont cours dans notre culture et notre époque... Elles prennent facilement le dessus sur la réflexion personnelle.

Source : Cerveau & Psyho, nov-déc. 2015, Olivier Houdé.

Comment notre cerveau nous permet-il de reconsidérer nos croyances ?

Esprit critique

Notre cerveau dispose de deux modes de pensée : un mode automatique qui fait appel aux habitudes de pensée (croyances, opinions) et un mode logique qui procède par raisonnement (déductions, inférences et comparaisons). Nous devons bloquer le mode automatique (encore appelé "pensée heuristique") pour exercer le mode du raisonnement (également nommé "pensée algorithmique").

La pensée heuristique se fait sans effort car elle se réfère des programmes enregistrés de longue date. La pensée algorithmique, au contraire, est lente et difficile. Ces deux modes de pensée activent des zones différentes dans le cerveau : le sillon intrapariétal latéral pour la pensée heuristique, le sillon intrapariétal ventral pour le raisonnement. Pour passer du mode heuristique au mode raisonné, la nature nous a doté d'une sorte de commutateur, le cortex préfrontal inférieur. Les neurones du cortex préfrontal ont de longs axones qui se prolongent dans toutes les zones du cerveau et peuvent envoyer des signaux à des neurones dits "inhibiteurs". C'est ainsi qu'ils vont littéralement "faire taire" l'armée de neurones de la zone responsable des automatismes de pensée.

Comment penser librement ?

Précisément, il s'agit d'utiliser son cortex préfrontal pour bloquer l'activité de la zone heuristique et libérer le fonctionnement du raisonnement critique. Ca n'est pas facile puisque nous sommes portés à trouver crédibles nos croyances et nos opinions. Il est plus simple et moins coûteux en énergie de s'y laisser aller. C'est au prix d'un effort quotidien que nous allons gagner notre liberté de pensée en distinguant, parmi nos idées, celles qui sont simplement crédibles de celles qui sont rigoureusement fondées. Une opinion peut être valable du point de vue éthique et répondre à des attentes, des intérêts ou des habitudes sans pour autant reposer sur un raisonnement sérieux. Faire ce distinguo entre légitime et vrai constitue la première étape pour réexaminer nos points de vue.

Il faut aussi s'entraîner à ne pas céder aux impulsions : garder de la retenue, s'imposer le silence au lieu de se laisser enflammer dans une discussion, résister à l'envie de manger une barre de chocolat, de pianoter sur son téléphone... Tous ces moments de résistance interne développent nos fonctions exécutives au sens large, c'est-à-dire les capacités de planification et de stratégie qui dépendent du cortex préfrontal. Nous serons alors mieux armés pour prendre des décisions éclairées.

Apprendre à bien raisonner, c'est apprendre à résister (inhiber).